Les dix étapes de vinification
- Benoit Labelle
 - il y a 5 heures
 - 10 min de lecture
 
Faire du vin, tout le monde peut s’y essayer. Mais faire du bon vin — celui qui donne envie d’y revenir encore et encore — c’est une tout autre affaire.
Le goût final d’un vin résulte de nombreux facteurs : le cépage, bien sûr, mais aussi le terroir, les levures utilisées, les pratiques œnologiques au chai, les méthodes de fermentation, sa durée, le type de contenant choisi pour le vieillissement, etc. Tous ces éléments influencent profondément les arômes, les saveurs et la texture du vin.
Dans le texte qui suit, vous découvrirez en détail les dix principales étapes que nous suivons pour élaborer nos vins rouges et blancs — un processus minutieux où chaque décision compte pour atteindre la qualité que nous visons.
1. La récolte des raisins (vendanges)
Attendre la pleine maturité des raisins est essentiel pour produire un vin de qualité. Des raisins récoltés trop tôt donneront un vin acide et peu expressif, tandis qu’une récolte trop tardive peut produire un vin trop rond, aux arômes de fruits confits trop marqués (c'est rarement le cas au Québec par contre).
Mais comment savoir si les raisins sont à point? Un test de goût permet de se faire une première idée du niveau de sucre et d’acidité. Toutefois, pour une évaluation plus précise et objective, on utilise un réfractomètre optique. Cet appareil mesure la concentration en sucre du jus de raisin à l’aide de l’indice Brix. Le fonctionnement est similaire à celui d’un microscope : on dépose une goutte de jus sur la lentille, et la lumière qui la traverse permet d’obtenir une lecture numérique du taux de sucre. Nous visons une concentration de 20 à 22 degrés Brix avant de commencer les vendanges, ce qui correspond à un potentiel alcoolique de 11,5 à 12,5 %.


Dès que la maturité optimale est atteinte, les vendanges peuvent commencer. Nous privilégions la récolte manuelle, car elle permet un tri minutieux des raisins directement au champ : seuls les fruits sains et bien mûrs sont sélectionnés. Cette rigueur s’inscrit dans notre volonté constante de produire des vins de qualité supérieure.
2. Égrappage et foulage
Une fois récoltées, les grappes de raisins sont acheminées au chai, où elles passent dans un égrappoir-fouloir mécanique. Cet appareil retire les rafles (la partie ligneuse de la grappe) et écrase doucement les baies pour briser leur pellicule, ce qui permet de libérer le jus et la pulpe, tout en préservant les pépins. Les tanins indésirables sont dans cette rafle et à l’intérieur des pépins.
À partir de là, le traitement varie selon le type de vin qu’on veut produire.
Pour le vin rouge, le jus, la peau et la pulpe sont transférés ensemble dans une cuve en acier inoxydable pour débuter le processus de fermentation et de macération.
Pour le vin blanc, on presse les raisins sur grappe, sans macération. Seul le jus est conservé et transféré en cuve. Cette méthode permet de préserver la fraîcheur, la finesse et la vivacité des arômes propres aux blancs.
3.a Fermentation alcoolique
(5-11 jours)
La fermentation alcoolique débute dès qu’on foule les raisins : le sucre du fruit se transforme naturellement en alcool grâce aux levures, produisant aussi du CO₂ et de la chaleur. Selon le type de vin, la température doit être soigneusement contrôlée.
Les raisins portent naturellement des levures dites indigènes. Celles-ci amorcent la fermentation, mais s’arrêtent vite, ne tolérant qu’un faible taux d’alcool (4 à 6 %). C’est alors que prend le relais Saccharomyces cerevisiae, la « levure noble », capable de mener la fermentation à terme. Peu présente sur la peau des raisins, elle se trouve partout dans le chai — sur les outils, les cuves, les murs… Une véritable locataire permanente !
La méthode varie ensuite selon la philosophie du producteur. Certains privilégient une fermentation 100 % naturelle avec les levures indigènes, tandis que d’autres ajoutent des sulfites pour éliminer les levures imprévisibles avant d’inoculer le moût avec Saccharomyces cerevisiae afin d’assurer un résultat stable.
Au vignoble, nous travaillons en régie biologique et limitons les sulfites au minimum. Pour garder le contrôle tout en respectant notre approche, nous utilisons d’abord une levure douce (Excellence B Nature) qui empêche les microbes indésirables de se développer, puis nous inoculons Saccharomyces cerevisiae pour compléter la fermentation de façon efficace et sécuritaire.
💡 Le saviez-vous ?
Aussi appelée « levure de bière », Saccharomyces cerevisiae a plusieurs bienfaits pour la santé : elle favorise la digestion, renforce le système immunitaire et contribue à la beauté de la peau, des cheveux et des ongles. Un petit plus bien agréable en plus de faire du bon vin !
3.b Transformation malolactique
(+/- 10 jours)
Souvent appelée à tort « fermentation malolactique », la malo désigne la transformation de l’acide malique, plus mordant, en acide lactique, plus doux, grâce à l’action de bactéries lactiques, principalement Oenococcus oeni. Ce processus adoucit le vin, enrichit son profil aromatique et assure sa stabilité microbiologique.
Nous effectuons cette transformation en même temps que la fermentation alcoolique. Le CO₂ et la chaleur naturellement produits créent un environnement idéal pour les bactéries, ce qui réduit les manipulations et les risques.
L’effet de la malo varie selon les cépages : nous l’appliquons à tous nos rouges, mais pas nécessairement à certains blancs comme le Riesling, dont elle atténuerait la vivacité. Elle est toutefois bénéfique au Chardonnay, auquel elle apporte ses fameuses notes beurrées.
4. Macération
(durée complète de fermentation alcoolique + 3 à 14 jours)
Le vin rouge est laissé à macérer avec les peaux de raisin pendant toute la durée de la fermentation, et souvent de 3 à 14 jours après celle-ci. C’est au cours de cette étape que le vin développe sa couleur, ses tannins et une bonne partie de ses arômes.
Pour bien mener cette macération et éviter les défauts (comme l’oxydation ou les goûts désagréables telle que l’acidité volatile), il faut quotidiennement gérer le chapeau de marc — c’est-à-dire les peaux qui remontent à la surface de la cuve. Pour ce faire, on utilise deux méthodes principales.
La première s’appelle le pigeage. Elle consiste à enfoncer doucement le chapeau de marc dans le jus à l’aide d’un outil qui ressemble à un gros pilon, un peu comme pour écraser des patates. Cette méthode douce permet d’extraire les arômes de façon subtile et donne souvent des vins plus élégants et fins.
La seconde technique est le remontage. On pompe le vin situé au fond de la cuve pour le verser sur le chapeau, ce qui le réhydrate et permet une extraction plus intense des composés présents dans la peau du raisin. Cette méthode donne généralement des vins rouges plus puissants et expressifs.
Selon le style de vin qu’on cherche à créer, on choisit l’une ou l’autre méthode — ou un mélange des deux — pour équilibrer structure, arômes et finesse.
5. Pressage du vin

Le pressurage est réalisé à l’aide d’un pressoir pneumatique, un équipement moderne qui exerce une pression douce et contrôlée grâce à une membrane gonflable. Cette méthode permet de presser délicatement les raisins ou le marc tout en surveillant la qualité du jus à chaque étape. Dès que celui-ci devient trop astringent, le pressage est interrompu.
Pour le vin blanc, le pressurage a lieu immédiatement après la récolte. On presse avec soin les raisins sur grappe afin d’obtenir un jus clair et expressif, en limitant l’extraction des composés amers contenus dans les grappes, les pépins et les pellicules. Le jus est ensuite transféré en cuve pour amorcer la fermentation.
Pour le vin rouge, le pressurage intervient après la macération. Le jus qui s’écoule naturellement est appelé vin de goutte : il est plus léger, moins tannique et moins coloré puisqu’il n’a pas été extrait sous pression. Le vin de presse, obtenu en pressant le marc (peaux, pépins, etc.), est plus concentré. On peut ainsi récupérer jusqu’à 15 % de vin supplémentaire. Selon le style recherché, ces deux jus sont ensuite assemblés ou vinifiés séparément.
6. Vieillissement du vin (élevage)
Le vieillissement du vin est une étape clé qui développe sa complexité aromatique, sa texture et son équilibre. Selon le contenant choisi, l’évolution du vin diffère. Voici les principales méthodes que nous utilisons :
Barriques de chêne
Le vieillissement en barrique, méthode traditionnelle, permet une micro-oxygénation lente qui adoucit les tanins et harmonise les arômes. Le chêne apporte parfois des notes de vanille, de pain grillé, de coco ou d’épices, selon son origine (française ou américaine) et le degré de chauffe. Ce procédé convient surtout aux vins rouges structurés et à certains blancs haut de gamme.

Nous utilisons des fûts français d’un an, issus de grands domaines, appréciés pour leur finesse et leur respect du fruit. Chaque barrique sert trois fois avant de devenir neutre. Elles sont conservées dans un espace tempéré et très humide (environ 90 %) pour éviter le dessèchement du bois et les fuites. L’évaporation, naturelle mais à surveiller, exige un remplissage régulier — le ouillage — afin de limiter l’oxydation du vin.
Cuves en acier inoxydable

Hermétiques et neutres, les cuves en inox empêchent toute oxygénation et n’ajoutent aucun arôme. Elles préservent la fraîcheur, l’acidité et les arômes primaires du vin, ce qui en fait le choix idéal pour les vins blancs, rosés et rouges fruités. C’est le médium utilisé pour le vieillissement de notre Riesling qui y reste pendant quelques mois.
Amphores en argile

Fabriquées en argile poreuse, les amphores permettent une micro-oxygénation naturelle semblable à celle du bois, sans transmission d’arômes. Elles offrent une expression pure du vin, une texture légèrement granuleuse et une belle minéralité. Très prisées en vinification biologique et naturelle, elles feront bientôt leur entrée dans notre chai.
7. Assemblage (facultatif)
La grande majorité de nos vins sont élaborés à partir d’un seul cépage — on parle alors de vins monocépages. Cette approche met en valeur la personnalité propre à chaque variété, en soulignant sa typicité. C’est une pratique courante dans les vins du Nouveau Monde, mais que l’on retrouve aussi dans plusieurs régions viticoles européennes, notamment en Bourgogne, dans la Loire, la vallée du Rhône ou encore en Toscane. À l’inverse, elle demeure presque absente dans les rouges de Bordeaux, où l’assemblage règne en maître.
Ce choix, qu’il soit en faveur du monocépage ou de l’assemblage, repose avant tout sur une question de style et de préférence personnelle du vigneron. C’est lui qui détermine le profil aromatique recherché, la texture et la structure tannique souhaitée. La quête d’un équilibre harmonieux et d’une constance d’un millésime à l’autre guide souvent les proportions choisies pour composer un assemblage.
Notre assemblage de merlot et de cabernet franc par exemple offre un parfait équilibre entre fruits éclatants et tanins soyeux.
8. Filtration
La clarification et la filtration du vin sont des étapes essentielles dans l’élaboration d’un produit limpide, stable et prêt à la mise en bouteille. Parmi les méthodes physiques de filtration, le filtre à plaques se distingue par sa polyvalence et son efficacité, surtout lorsqu’aucun agent de collage n’est utilisé.

Ce type de filtre est composé de plusieurs plaques recouvertes de feuilles filtrantes. Le vin est pompé à travers ces plaques, un peu comme s’il passait à travers plusieurs couches de papier très fin. Ces couches retiennent les impuretés — comme les résidus de levures ou les petites lies — tout en laissant passer le vin clair qui retourne en cuve inox pour ensuite être embouteillé.
Cette méthode est purement mécanique : aucun agent de collage, comme la gélatine ou les protéines animales, n’est utilisé. C’est donc une solution naturelle et respectueuse du vin, qui garde toute sa saveur et son authenticité. Elle est d’ailleurs très appréciée dans l’élaboration de vins biologiques ou dits «nature».
En plus de rendre le vin plus limpide et brillant, cette filtration contribue à sa stabilité, ce qui est important pour qu’il se conserve bien après la mise en bouteille.
9. Mise en bouteille
La mise en bouteille est une étape décisive dans la vie du vin. Elle ne se limite pas à remplir des bouteilles : elle vise surtout à préserver la qualité et la stabilité du vin dans le temps.
Pour éviter que le vin ne s’oxyde — c’est-à-dire qu’il ne perde sa fraîcheur et ses arômes — on s’assure de limiter au maximum son contact avec l’oxygène tout au long du processus. Cela passe notamment par des équipements adaptés et des techniques précises qui réduisent l’exposition à l’air pendant le remplissage.
Un léger ajout de soufre (SO₂) est également réalisé avant la mise en bouteille. Cet agent de conservation naturel est utilisé depuis des siècles en œnologie : il aide à protéger le vin contre l’oxydation et les altérations microbiologiques, tout en maintenant son expression aromatique.
Enfin, chaque bouteille est bouchée avec un bouchon de liège 100 % naturel. Ce choix n’est pas anodin : le liège permet une micro-oxygénation contrôlée qui accompagne doucement l’évolution du vin en bouteille. Ce type de bouchon respecte aussi la tradition viticole européenne, où il symbolise l’élégance, l’authenticité et le lien avec la nature.
10. Vieillissement en bouteille
Une fois mis en bouteille, le vin continue de vieillir lentement. Le verre est hermétique, mais le bouchon de liège permet une micro-oxygénation qui favorise son évolution. Ce processus est essentiel pour les grands crus et les vins de garde.
La capacité d’un vin à bien vieillir dépend de plusieurs facteurs : richesse en tanins, acidité suffisante, équilibre et qualité du vin. Ces éléments déterminent son potentiel de garde.
En cave, le vin évolue par étapes : jeune, il mûrit jusqu’à son apogée avant d’amorcer un déclin. La durée varie selon le type de vin — certains atteignent leur pic après 2 ou 3 ans, d’autres après plus de 20 ans. Avec le temps, la couleur des vins rouges s’éclaircit, passant du rubis au rouge brique puis tuilé.

Les conditions idéales de conservation sont une température stable d’environ 12 degré Celsius, une obscurité totale, une humidité de 60 à 75 %, et des bouteilles couchées, à l’abri des vibrations.
Notre Pinot noir, léger, peu acide et très faiblement sulfité, offre un potentiel de garde d’environ 2 à 3 ans. À l’inverse, notre Cabernet franc, plus structuré et doté d’une acidité marquée, peut se conserver de 6 à 8 ans.
Conclusion
De la vigne à la bouteille, chaque geste compte. Chaque choix — du moment des vendanges au type de contenant, en passant par la durée de macération ou le choix du bouchon — façonne le caractère du vin et son évolution dans le temps.
Faire du vin, c’est une science, mais aussi un art : un équilibre entre rigueur, intuition et respect du vivant. C’est ce soin à chaque étape qui permet au vin de continuer à respirer, à évoluer et à révéler, année après année, toute la richesse du terroir dont il est né.










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