Pourquoi si peu de Vitis vinifera au Québec malgré sa renommée?
- Benoit Labelle
- 8 juil.
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : 20 août
Introduction
Les Vitis vinifera sont les cépages les plus cultivés, vinifiés et consommés à travers le monde. Des vins rouges réputé comme le Pinot noir, le Merlot, le Cabernet franc et le Cabernet Sauvignon en sont issus, tout comme plusieurs grands vins blancs tels que le Chardonnay, le Riesling, le Sauvignon blanc et le Pinot gris. Malgré leur immense popularité et leur réputation mondiale, les Vitis vinifera ne représentent qu’environ 20 % des vignes cultivées au Québec. À l’inverse, près de 80 % des vignes québécoises sont constituées de cépages hybrides, comme le Frontenac, le Vidal, le Seyval et le Marquette, pour ne nommer que ceux-là.
Selon le Conseil des vins du Québec, la proportion de Vitis vinifera ne cesse toutefois d’augmenter d’année en année. Peut-on espérer qu’un jour, ces cépages égaleront — voire dépasseront — les hybrides en superficie cultivée?
Voici les principales caractéristiques du Vitis vinifera qui compliquent sa culture sous un climat nordique comme celui du Québec :
Les Vitis vinifera sont beaucoup plus sensibles au froid que les vignes hybrides

Originaire d’Europe et d’Asie occidentale, la vigne Vitis vinifera prospère principalement dans les régions chaudes et ensoleillées du globe. Elle est beaucoup plus sensible au froid que les vignes hybrides. Le seuil de tolérance au gel des bourgeons à fruits des Vitis vinifera se situe autour de -20 °C, alors que certains cépages hybrides peuvent résister à des températures aussi basses que -30 °C. Certains cépages Vitis vinifera sont encore plus vulnérables : le Merlot et le Sauvignon blanc, par exemple, peinent à survivre à des températures sous les -15 °C. Le climat nordique du Québec représente donc un véritable défi pour la culture et l’épanouissement de ces vignes.

Pour assurer leur survie, les viticulteurs québécois doivent recourir à des protections hivernales, comme le buttage, l’ensevelissement des vignes et les toiles géotextiles par exemple. Ces méthodes impliquent inévitablement un surcroît de travail, de main-d'œuvre et d’investissements. L’enjeu est loin d’être négligeable lorsqu’on considère qu’une vigne met environ cinq ans à atteindre sa pleine maturité productive. Ainsi, le gel des bourgeons ne compromet pas seulement la récolte de l’année en cours, mais peut aussi menacer la survie des plants et affecter les récoltes des années suivantes.
Les Vitis vinifera ont un besoin élevé en ensoleillement et en chaleur
Outre leur grande sensibilité au froid, les Vitis vinifera requièrent également un plus grand nombre de jours d’ensoleillement et de chaleur pour porter leurs raisins à pleine maturité, comparativement aux cépages hybrides.
Pour évaluer si le climat d’une région est favorable à la culture de la vigne, on utilise l’indice des degrés-jours de croissance. Cet indice mesure le nombre de jours durant lesquels la température oscille entre 10°C et 30°C, une plage essentielle à la maturation des raisins. Les températures en dehors de cette fourchette n’étant pas propices à la croissance de la vigne, elles sont exclues du calcul.
Avec son climat plus frais, le Québec présente donc certaines limites en matière de potentiel viticole, surtout lorsqu’on le compare aux régions viticoles plus chaudes d’Europe ou des États-Unis.
En moyenne, les cépages hybrides requièrent environ 1100 degrés-jours pour arriver à maturité. Les Vitis vinifera les plus précoces, comme le Pinot gris, le Pinot noir et le Chardonnay, ont besoin d’au moins 1200 degrés-jours. Les cépages plus tardifs, tels que le Cabernet franc, le Cabernet Sauvignon et le Riesling, exigent quant à eux un minimum de 1400 degrés-jours.
À titre comparatif, le sud du Québec présente un indice situé entre 1400 et 1500 degrés-jours, ce qui le rapproche du climat du nord de la Bourgogne, en France. Cette similarité permet à certains vignobles québécois de cultiver des cépages plus tardifs, là où les conditions locales le permettent.


Pour pallier les défis liés à la courte saison de croissance, plusieurs vignerons misent sur des solutions innovantes : l’utilisation de serres à climat contrôlé, ou encore l’installation de systèmes de géothermie sous forme de tuyauterie chauffante au pied des vignes. La créativité des producteurs québécois ne cesse d’évoluer, repoussant les limites du possible pour offrir des raisins savoureux, même dans un climat nordique.
Vulnérabilité importante aux maladies
Les longues saisons chaudes et ensoleillées sont essentielles à la production de raisins savoureux. Toutefois, un excès de chaleur peut devenir problématique : lorsque les températures dépassent les 30°C, la vigne interrompt sa croissance. De plus, une humidité excessive dans l’air augmente considérablement les risques de maladies fongiques, telles que le mildiou, le botrytis ou encore la pourriture noire, pour ne nommer que celles-ci.

Toutes les vignes sont sensibles à ces maladies dans une certaine mesure, mais les Vitis vinifera y sont généralement plus vulnérables que les cépages hybrides. Chaque variété de raisin présente ses propres défis : par exemple, le Pinot noir, dont les grappes sont particulièrement denses, est plus susceptible de développer du botrytis en raison d’une mauvaise circulation de l’air entre les baies.
Certains facteurs naturels peuvent toutefois contribuer à réduire le risque de maladies. L’emplacement du vignoble, la topographie du terrain et la nature du sol jouent un rôle crucial. Un terrain légèrement en pente, bien drainé, exposé au soleil, à l’abri des vents dominants tout en favorisant une bonne circulation d’air constitue un environnement idéal pour la vigne.
En ce qui concerne le sol, une bonne capacité de drainage est essentielle pour éviter les accumulations d’eau autour des pieds de vigne, surtout lors de fortes pluies. Dans les zones plus problématiques, l’installation de drains souterrains peut s’avérer nécessaire.
À cela s’ajoutent des interventions mécaniques qui favorisent une maturation saine des raisins, comme l’effeuillage et le relevage des plants afin de maximiser l’exposition à la lumière et la circulation de l’air autour des grappes ainsi que l’utilisation de couvres-sols bas entre les rangs pour limiter l’humidité, .
Malgré toutes ces précautions, la culture des Vitis vinifera dans un climat nordique exige souvent l’application de traitements pour préserver la récolte. Le souffre, le cuivre et le bicarbonate de potassium sont des exemples de produits biologiques qui aident à minimiser et contrôler les maladies fongiques qui attaquent les raisins. Lors de saisons particulièrement pluvieuses, plusieurs applications peuvent être nécessaires, parfois dans des délais très serrés. Les vignerons doivent alors faire preuve d’une vigilance constante : une simple omission ou un retard peut entraîner des pertes importantes.
Conclusion
La grande sensibilité des Vitis vinifera au froid et aux maladies en décourage encore plusieurs vignerons. Le coût supplémentaire en temps, en main-d’œuvre et en investissements, combiné au risque accru de pertes, freine leur adoption à grande échelle. De plus, tous les producteurs ne disposent pas de conditions géographiques idéales pour cultiver ces cépages, particulièrement les plus tardifs. Le climat varie considérablement d’un bout à l’autre du Québec : ce qui est possible à l’extrême sud de la province — où la saison de croissance est plus longue — l’est beaucoup moins dans les régions plus nordiques.
Cela dit, l’avenir des Vitis vinifera au Québec s’annonce prometteur. Comme le mentionnait la sommelière de renom Véronique Rivest dans son article « N’ayez pas peur des hybrides! » publié dans La Presse le 6 juillet 2018, la saison de croissance s’est allongée de près d’un mois au cours des quarante dernières années. Elle soulignait également qu’avant les années 2000, la viticulture québécoise reposait presque exclusivement sur des cépages hybrides. Si cette tendance se poursuit, il est tout à fait plausible d’imaginer que la proportion de Vitis vinifera cultivée au Québec double d’ici les vingt prochaines années.
D’ici là, les vignerons et agronomes continueront d’acquérir de l’expertise, tandis que les avancées technologiques et l’évolution des pratiques culturales offriront de nouvelles solutions concrètes. Tout porte à croire que ces progrès inciteront un nombre croissant de producteurs à tenter l’aventure vinifera. Et qui sait? Peut-être qu’un jour, un vin québécois issu de ces cépages figurera parmi les meilleurs du monde.




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